Elle est à nos portes, cette période au cours de laquelle nous faisons le bilan de l’année qui tire à sa fin et regardons ce qui s’en vient pour l’année à venir. En vue d’alimenter ces réflexions auprès des employeurs de juridiction provinciale, nous vous proposons une revue de l’année en droit du travail. Le compte à rebours a commencé.


10, 9, 8… Le télétravail

Mis en place de façon répandue durant la pandémie et toujours en vigueur dans de nombreuses entreprises depuis, le télétravail a continué de faire couler de l’encre cette année :

  • Utilisation d’employés en télétravail durant une grève ou un lock-out : Les dispositions anti-briseurs de grève ont été le théâtre d’une controverse jurisprudentielle en 2023. D’un côté, la Cour supérieure a rejeté la notion d’« établissement déployé »1 développée par le Tribunal administratif du travail (TAT) et a refusé d’étendre l’interdiction d’utiliser des briseurs de grève à des employés travaillant à distance2. Ainsi, la Cour a affirmé que l’employeur ne contrevenait pas au Code du travail en utilisant les services d’une employée en télétravail exclue de l’unité en lock-out pour accomplir le travail des employés en lock-out. Or, dans un autre dossier3, le même tribunal est arrivé à une conclusion contraire et a validé la notion d’« établissement déployé ». La Cour d’appel aura donc à se prononcer sur la question au cours de la prochaine année4.
  • Applicabilité des lois québécoises : La Cour supérieure a déterminé que la Loi sur les normes du travail ne s’appliquait pas à une employée qui travaillait à distance pour une entreprise américaine qui n’avait pas de bureau ni d’activités au Québec5. Cette décision a également été portée en appel6. Vous pouvez lire notre analyse ici
  • Présence obligatoire au travail : Un arbitre de grief a conclu que l’employeur était justifié d’exiger que ses salariés en télétravail soient présents au bureau à raison d’une journée par semaine7. De fait, la détermination du lieu du travail relevait du droit de gérance de l’employeur qui l’avait d’ailleurs exercé de manière raisonnable.

7, 6… Droits fondamentaux

En cette fin d’année marquée par des grèves dans le secteur public, on ne peut omettre de mentionner une des décisions rendues relativement à la liberté d’association : 

  • Le port de pantalons non conformes comme moyen de pression : La Cour supérieure a invalidé les dispositions législatives interdisant à des policiers d’altérer leur uniforme en portant des pantalons colorés à titre de moyen de pression8. Selon la Cour, cette interdiction portait atteinte à leurs libertés d’expression et d’association.

Cette décision mérite également d’être mentionnée :

  • Inclusion d’une clause discriminatoire et responsabilité d’un syndicat : La Cour supérieure a condamné un syndicat à dédommager un employeur pour l’entièreté des sommes que ce dernier a dû verser à ses salariés visés par une clause d’une convention collective jugée discriminatoire sur la base de l’âge9. La clause discriminatoire avait été ajoutée à la convention collective à la suite d’une demande de mauvaise foi du syndicat qui entendait par la suite contester par grief cette clause et réclamer des dommages-intérêts à l’employeur. Vous pouvez lire notre analyse ici

5… Fin d’emploi

Bien qu’un employeur puisse mettre fin à l’emploi d’un employé sans motif sérieux, cette décision rendue durant la dernière année contient certaines mises en garde qu’il convient de garder à l’esprit :

  • Obligation de bonne foi lors d’un congédiement : La Cour d’appel a réitéré que la manière suivant laquelle un employeur procède à un congédiement peut avoir une incidence sur le délai de congé raisonnable ainsi que sur les dommages-intérêts auxquels pourrait avoir droit l’employé. Dans les circonstances propres à cette affaire, la Cour a conclu que le manque de transparence relativement aux motifs de congédiement d’un cadre supérieur avait contribué à la difficulté de se trouver un nouvel emploi. Ce faisant, ce facteur pouvait être considéré par le tribunal dans le calcul du délai de congé raisonnable à être octroyé à l’ex-employé. Par ailleurs, la Cour a également déterminé que ce dernier avait droit à des dommages-intérêts additionnels puisque l’employeur avait commis un abus de droit, notamment en mettant fin abruptement à son emploi et en refusant de lui remettre une lettre de recommandation. Vous pouvez lire notre analyse ici.

4, 3… Santé et sécurité au travail

En cette matière, les entreprises assument des responsabilités importantes comme le rappelle cette décision :

  • Infraction criminelle : La Cour d’appel a confirmé la culpabilité d’une entreprise accusée de négligence criminelle ayant causé la mort10. Dans cette affaire, un camionneur était décédé à la suite d’un accident résultant de l’entretien nettement déficient du système de freinage du camion. Cette décision rappelle qu’en cas de défaut de prendre les moyens pour assurer la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, une entreprise peut être déclarée coupable d’avoir commis une infraction criminelle. Vous pouvez lire notre analyse ici.

2, 1… Non-concurrence

Finalement, la décision suivante mérite d’être considérée avant d’intenter des procédures visant à exiger le respect d’une clause de non-concurrence :

  • Engagement contractuel déraisonnable et abus de droit : La Cour supérieure a déterminé qu’une entreprise a commis un abus de droit en intentant des procédures d’injonction à l’encontre d’un ancien employé alors qu’elle savait que la clause de non-concurrence qu’elle tentait de faire appliquer était invalide puisqu’elle ne se limitait pas à ce qui était nécessaire pour protéger ses intérêts légitimes11. L’entreprise a notamment été condamnée à rembourser l’entièreté des honoraires engagés par son ancien employé pour se défendre.

À surveiller en 2024

Durant la prochaine année, nous garderons l’œil ouvert notamment sur la suite des événements dans le cadre de ce qui suit :

  • Syndicalisation des cadres de premier niveau : En avril dernier, la Cour suprême du Canada a tenu une audience dans l’affaire Association des cadres de la société des casinos du Québec c. Société des casinos du Québec12. Nous sommes donc dans l’attente de la décision du plus haut tribunal du pays qui pourrait se prononcer sur le droit à la syndicalisation des cadres de premier niveau au cours de la prochaine année.
  • Projet de loi no 42 : Le 23 novembre dernier, le ministre du Travail a déposé le projet de loi no 42, soit la Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail. Ce projet de loi apporterait notamment des modifications à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, au Code du travail, à la Loi sur les normes du travail et à la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Nous suivrons donc le cheminement de ce projet de loi à l’Assemblée nationale et resterons à l’affût de possibles amendements qui pourraient être adoptés.
  • Intelligence artificielle : L’intelligence artificielle continuera sûrement d’être un sujet de discussion en 2024 également. Avec des initiatives législatives déposées dans certains États américains et en Ontario afin d’encadrer l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le cadre de décisions en matière d’emploi, il y aura lieu de voir si ces faits nouveaux auront une incidence auprès du législateur québécois.

Notes

1  

Unifor, section locale 177 c. Groupe CRH Canada inc., 2021 QCTAT 5639.

2  

Groupe CRH Canada inc. c. Tribunal administratif du travail, 2023 QCCS 1259.

3  

Coop Novago c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Coop Lanaudière – CSN, 2023 QCCS 1539.

4   Unifor, section locale 177 c. Groupe CRH Canada inc., 2023 QCCA 972.

5  

Marchetta c. Tribunal administratif du travail, 2023 QCCS 3254.

6   Marchetta c. Petros 724 inc., 2023 QCCA 1276.

7   Syndicat des salariés de SSQ, Société d'assurances générales et SSQ, Société d'assurance-vie inc. (Beneva), 2023 QCTA 239.

8  

Fédération des policiers et policières municipaux du Québec c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 3333.

9  

Université du Québec à Montréal c. Lamy, 2023 QCCS 629; Désistement de la requête pour permission d’appeler : 500-09-030492-235 (C.A. Montréal).

10   CFG Construction inc. c. R., 2023 QCCA 1032.

11   Jutras c. La Presse (2018) inc., 2023 QCCS 2506.

12   2022 QCCA 180; notre analyse peut être consultée ici



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